Arrivé
à Enampore, après quelques jours pour m’adapter au village et
rencontrer ses habitants, je me lance timidement dans mon projet: la
réalisation d’un album de musiques traditionnelles auxquelles
j’ajouterai ma touche « occidentale », une chanson par pays. A la
recherche de musiciens et d’instruments nouveaux, j’apprends que le
village est très peu tourné vers cet art. Les hommes et les femmes
chantonnent aux champs, il y a un djembé qui sert a accompagner la
chorale de l’église et deux grands tambours qui se jouent en binôme et
servent à animer les fêtes traditionnelles diolas mais aucun de ces
instruments ne peut quitter son lieu sacré. Le challenge s’annonce plus
compliqué que prévu.
Roger,
un homme d'Enampore qui joue du tambour lors des événements
traditionnels et avait été présent pour nous accueillir le premier jour
me dit qu’il m’aidera à trouver des musiciens.
Un
jour où nous partons à la découverte des villages voisins, nous
entendons parler de Houyocob, un musicien jouant d’un vieil instrument: l’arc
musical, instrument accompagnant les anciens chants diolas, presque
oubliés aujourd’hui. Quelle bonne nouvelle! Ça correspond exactement à
ce que je recherche.
En
route pour Seleki donc, avec Roger, pour faire la rencontre de ce vieux
joueur d’arc musical, le "Gakhakang" en Diola. J’amène ma guitare pour voir si nos deux
instruments sont compatibles…
Nous
jouons ensemble, le vieil homme et moi. Nos instruments semblent bien
se marier. J’ai trouvé un air à la guitare qui sonne un peu sénégalais
et s’accorde bien avec ce qu’il joue. Son instrument est très
intéressant, d'abord parce qu'il est jetable: il est constitué de
branches d'arbres et feuilles de palmier ronier. Il l'a donc construit
devant mes yeux en dix minutes. Ensuite parce le son est amplifié par
bouche qui vient se poser en haut de la corde de l'instrument. Il doit
partir mais je suis content d’avoir enfin une piste sur laquelle
travailler et surtout un musicien. Nous nous donnons rendez-vous pour un
autre jour.
Tant que je suis à Seleki, je demande
autour s’il n’y a pas des percussionnistes intéressés pour enregistrer
avec nous. Comme à Enampore, personne n’a de tambour chez lui, ces
instruments étant réservés aux événements sacrés. Roger me dit qu’il
pourra éventuellement essayer de ramener les tambours du village ainsi
que l’homme avec qu’il a l’habitude de jouer, lorsque nous
enregistrerons.
Retour
au village, je tombe malade le lendemain, rate mon rendez-vous du
surlendemain que je repousse. Au bout de trois jours, je suis à nouveau
sur pieds avec un peu de retard sur le programme...
C’est
dimanche, nous sommes invités à assister à la messe. On accepte.
Apparemment c’est dans le style gospel, ça peut être vraiment sympa.
Entre plusieurs séries de squatts bien sportives: «Prions... » (on se
lève), « … amen » (on s’assoit), on a droit à une super chorale à quatre
voix qui chante en Français et en Diola au rythme des djembés. A la fin
de la messe, je vais parler aux choristes et leur propose de faire les
choeurs dans la chanson que nous enregistrerons. La réponse est floue
mais semble positive. En tout cas je m’en contente.
Quelques
jours passent, il est temps de retourner à Seleki pour enregistrer avec
les quelques musiciens que j’ai trouvés. J’attends Roger au campement
car nous devons y aller ensemble, mais il n’arrive pas. Le temps passe,
je m’impatiente, finis par l’appeler. Il répond et me dit d’une voix
tout à fait normale, presque désolé pour moi:
« Excuse moi, je vais avoir un peu de retard, ma femme est en train d’accoucher. »
Un
frisson me prend dans tout le corps, je ne sais pas du tout comment
réagir, je ne savais même pas que sa femme était enceinte. Terriblement
gêné je lui dis de ne pas s’inquiéter, on annule pour aujourd’hui, on
reprogrammera, sachant pertinemment que ça n’arrivera pas puisque je
pars le surlendemain.
« On n’annule pas » me répond-t-il. « J’aurai seulement dix minutes de retard. »
Effectivement,
il arrive assez vite, son bébé n’est même pas encore né. « En route! »
lance-t-il. Complètement déstabilisé par ce qu’il se passe, je me
contente d’obéir. Oriane et Victor nous accompagnent pour nous aider à
enregistrer et prendre des vidéos.
Nous
n’avons ni l’ami de Roger qui n’a pas pu se libérer, ni les tambours (à
mon avis Roger avait d’autres préoccupations), on se retrouve à nouveau
juste le vieil homme et moi.
Nous
décidons d’enregistrer une chanson assez entrainante, qui m’avait
particulièrement plue lorsque nous avions joué la première fois:
l’histoire d’un homme aimé de tous au village, dont le sourire charmait
tous ceux qui le croisaient.
C’est
parti, nous enregistrons, et là, c’est un sketch! C’est amusant de voir
à quel point toute ces procédures dépassent complètement des gens qui
vivent si simplement.
Nous "jamons" un peu pour que
je trouve des airs à la guitare et me sente à l’aise avec la chanson
avant de passer au vrai travail de prise de son. J’explique que je vais
d’abord enregistrer l’arc seul. C’était sans compter sur une femme venue
participer, se mettant à chanter à tue-tête et taper des mains dès que
la musique commençait. Sans compter non plus sur le musicien s’arrêtant
en plein milieu de la prise pour dire bonjour aux gens qui passaient par
là. On arrive tant bien que mal à avoir une petite partie exploitable.
J’ai
maintenant besoin du chant. C’est toujours Houyocob qui sera
enregistré. Il a une voix marquée par son âge et chante cette chanson
avec une pureté et une sensibilité qui me plaisent.
Je
lui mets ce qu’il vient de jouer dans les oreilles pour qu’il puisse
chanter par dessus, évitant ainsi un décalage de tempo. C’est
catastrophique: complètement fasciné par ce qu’il entend, et malgré
plusieurs essais, l’homme est incapable de chanter, il n’arrive qu’à
sortir des petites onomatopées, trop occupé à écouter la musique qu’il
venait de jouer.
On
s'arrête là, la nuit tombe, Roger doit être impatient d'aller voir son
enfant. Je pense que je mettrai un peu plus de ma participation dans
cette chanson que prévu.
Le
jour suivant, j'ai rendez-vous avec la chorale à l'église à 17h. 17h30,
rien. Quelqu'un finit par arriver: "on a changé l'horaire, la chorale
est à 19h maintenant."
Merci de me prévenir avant...
Je demande donc à ce qu'on vienne me chercher au campement quand
l'heure sera venue. Excellent calcul de ma part, personne n'est arrivé
avant 20h.
Dans le noir, à deux sur un vélo, passant entre les manguiers, les vaches, les hautes herbes, nous roulons avec ma guitare sur le dos et mon matériel d'enregistrement sur le guidon jusqu'à l'église où la chorale répète.
Tout se fait très rapidement, les choristes inventent des paroles sur le refrain qu'ils doivent chanter. Je fais quelques prises avec djembé, sans, que les filles, que les garçons... Au bout d'une heure j'ai fini et je rentre au campement. Ca tombe bien c'était notre dernière soirée à Enampore, nous repartons le lendemain a 7h du matin.
Cette histoire, sur fond musical, superbement racontée est typique de la senegalese way of life avec ses charmes et ses contraintes !
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