mardi 22 septembre 2015

L'enterrement Diola [par Victor]























Avec Karine et Ahmed cloués au lit par Ebola/paludisme/polio, nous sommes tenus, Oriane, Solen, Yanis et moi, de représenter la famille à la cérémonie. Tout commence par un pick-up en piteux état qui déboule dans la cour. Adrien nous ramasse, quelques kilomètres à parcourir les routes inondées en terre battue, au bord desquelles il récupère un certain nombre de passagers, à l’improviste. On passe par dans de petits chemins en sous-bois, et la rumeur monte. Nous sommes au milieu de l’après-midi. Le décès à eu lieu la veille au soir, la fête a commencé au matin.

 

Ce qu’il faut comprendre d’un enterrement Diola, c’est qu’il n’y a de commun avec un enterrement français que le nom. Pour le reste, ça ressemble plutôt à une fête. Mais là rien d’inhabituel, puisque comme dans la plupart des fêtes, les femmes dansent et les hommes boivent. Un vin omniprésent dans la région, la Sousete, fourni par pack de 6 briques en carton à la manière du lait bon marché, et dont le goût rappelle la Villageoise, ainsi qu’un étrange breuvage orange aux origines incertaines, et au vu de l’état de certains, la prudence est le mot d’ordre.



Au début, un peu égarés, nous essayons de nous fondre dans la masse en prenant des photos, ce qui s’avère parfaitement inutile puisque nous sommes les seuls blancs et que tout le monde nous dévisage (gentiment). Rapidement, Solen va vérifier ce qui se passe du côté des musiciens (des percussionnistes), puis Oriane se laisse entraîner dans la danse. Danse composée de piétinements et de secousses postérieures, au rythme zouk enrichi de tambours traditionnels. Les femmes sont pour la plupart munies de claquettes (sortes de claves), battent la mesure, et de temps à autre l’une d’elle se met à piétiner très vite, à pieds joints, statique, et la mesure accélère, ponctuée de cris de joie stridents, contribuant à la décharge émotionnelle générale. A entendre pendant longtemps, ça plonge dans une sorte de transe rappelant l’électro des boîtes de nuit. Comme c’est un enterrement de femme, on fait circuler un panier tressé représentant le travail de la femme (aux enterrements d’hommes, on fait plutôt passer des sagaies, ou des machettes). Et toutes dansent, de vingt à quatre-vingt ans, en traversant le cercle qu’elles composent. Les enfants n’y sont pas admis, à cause de la vue du corps, et du sacrifice.



Arrive donc un taureau encordé qui tente de s’enfuir, on l’immobilise rapidement, puis on pose des branchages sur son cou pour éviter d’arroser les invités. On l’égorge au milieu du cercle où peu avant, tout le monde dansait, créant une mare de sang sortant par giclées régulières des carotides du malheureux taureau. On en récupère, lui tranche la queue, et on le traîne dans le sable, aux trois quarts décapité et ensanglanté. Un sordide spectacle qui, à mon avis volontairement, contraste avec la scène suivante.

Le corps de la défunte arrive, drapé d’un linceul, surélevé par deux hommes sur un brancard végétal. Elle fait le tour du cercle, l’ambiance se fait plus solennelle, tout en restant gaie. On dépose du riz et du vin à côté d’elle en offrande. J’y vois comme un symbole, la volonté d’affirmer la supériorité de l’homme sur l’animal et la nature. On processionne vers la maison de la famille proche.


C’est là qu’Adrien nous ramène. Oriane a été convertie, elle veut se faire enterrer à la manière Diola, où il est vrai qu’à défaut de mouchoirs humides, de discours soporifiques, de condoléances et d’habits noirs, on préfère la couleur, la danse, le deuil par la communion de la joie, et non des larmes. Si ce n’est pour une personne, qui, toute la journée, a dissimulé tant bien que mal la tristesse d’avoir perdu sa maman derrière un appareil photo.

1 commentaire:

  1. Très joli texte et fin pour décrire cette cérémonie.
    Nous venons, à Mohammédia, de vivre les obsèques du papa de Thierry BORDONADO, je confirme, rien à voir.

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